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Il y a dix ans, le 12 septembre 2012, est apparu Tinder. L’application de rencontres se distinguait de ses concurrents par sa technique de balayage, le « swipe », amené à simplifier la sélection des potentiels partenaires amoureux ou sexuels. Vers la gauche pour un non, vers la droite pour un oui et ce sera peut-être, si l’approbation est réciproque, un « match ». En une décennie, Tinder a conquis plus de 50 millions d’utilisateurs dans le monde et est devenue l’une des applications de rencontres les plus téléchargées à l’échelle mondiale.
Dans l’Hexagone, son usage et son évolution ont été étudiés par Marie Bergström, sociologue à l’Institut national d’études démographiques (INED) et spécialiste des rencontres amoureuses en ligne. Dans un entretien au Monde, elle évoque ce que l’application a révélé ou transformé dans les pratiques pour établir des relations sexuelles ou amoureuses.
Tinder a-t-il mis au goût du jour les rencontres en ligne ?
Quand les premières plates-formes de rencontre se sont diffusées, au début des années 2000, beaucoup des couples qui se rencontraient sur Meetic ou Match n’osaient pas l’admettre. Ils inventaient un lieu pour leur rencontre, qui était souvent celui du premier rendez-vous. L’usage de ces plates-formes était perçu négativement. On disait des utilisateurs qu’ils étaient désespérés, pervers, nymphomanes ou « losers ». Cette image est moins présente aujourd’hui. On ne peut plus dire qu’il y a un tabou et Tinder a participé à ce changement. Le stigmate a disparu, mais il n’a pas été remplacé par une image positive de la rencontre en ligne.
Désormais, la plupart des personnes assument avoir rencontré quelqu’un sur une application. Pour autant, ce n’est pas jugé romantique. Beaucoup disent : « J’aurais aimé qu’il en soit autrement. » Le changement majeur, dans la perception de cette pratique, est lié à la diffusion de l’usage, qui s’est démocratisé parmi un grand nombre d’utilisateurs. La technologie et l’interface des applications comme Tinder, associée à la modernité, y ont contribué.
Aux Etats-Unis et en Allemagne, des études de 2019 et 2020 ont montré que les sites et applications de rencontre sont même devenus le troisième lieu de rencontre après les rencontres via les amis ou la famille et celles sur le lieu de travail ou d’étude. Les plates-formes en ligne ont détrôné d’autres espaces, comme les bars, les associations ou l’espace public.
Qu’est-ce que Tinder révèle de nos pratiques pour établir des relations sexuelles ou amoureuses ?
Il a mis à nu les mécanismes de sélection et d’élimination qui s’opèrent dans l’appariement des partenaires, c’est-à-dire le choix amoureux ou sexuel. Ces mécanismes ne sont pas spécifiques aux applications. Dans une soirée, les gens défilent sous nos yeux et, inconsciemment, on va les juger sur leurs caractéristiques physiques : l’apparence, la posture ou encore les vêtements. Tous les éléments à partir desquels on va estimer s’ils sont intéressants, s’ils correspondent – ou non – à notre imaginaire. La mécanique est semblable sur Tinder mais ce qui change, d’une part, c’est la masse de personnes à laquelle on est exposé et, d’autre part, le fait d’être confronté à tout ce que l’on rejette. On conscientise ainsi notre jugement.
Dans la vie hors ligne, la sélection est plus feutrée, moins visible. Tinder rend l’élimination perceptible et tangible, il tend un miroir, et c’est ce qui déplaît, car le phénomène ne colle pas avec les belles histoires que l’on peut lire, ni à une certaine vision du romantisme. Les biais racistes ou le sexisme dont le fonctionnement de Tinder a été accusé ne sont pas tant propres à l’application qu’à des pratiques sociales. L’algorithme y joue bien sûr un rôle, car il est programmé pour que certains profils apparaissent plutôt que d’autres, mais l’appariement final – qui « matche » avec qui – est surtout dû aux comportements des utilisateurs. Il y a certes un cadrage technique mais celui-ci est surestimé dans l’équation, plus large, où les choix des individus tiennent un rôle prédominant. Face à l’image, parfois peu glorieuse de nous-même, que peuvent nous renvoyer les plates-formes, il est plus aisé de mettre en cause le médium plutôt que de regarder frontalement les comportements.
Existe-t-il une forme de consumérisme exacerbé par le mouvement du « swipe » ?
La métaphore de la consommation exprime une critique forte et efficace, mais elle n’est pas une description fidèle de l’application et de ses pratiques. Les utilisateurs ne se comportent pas comme des consommateurs et nous ne pouvons pas dire qu’ils agissent sur Tinder comme dans un supermarché. Quand une personne juge un potentiel partenaire, elle ne le fait pas comme pour un yaourt. C’est une lecture simplificatrice qui empêche de voir ce qu’il y a de nouveau avec ces plates-formes.
De mon point de vue, le vrai changement est ailleurs. Outre Tinder, les sites et applications de rencontres ont créé un espace exclusivement consacré à la rencontre. Jusqu’à l’arrivée des plates-formes, les rencontres amoureuses et sexuelles se faisaient dans des lieux de sociabilité ordinaires : la sphère professionnelle et la sphère familiale ou amicale. Historiquement, pour la population hétérosexuelle, il n’y a jamais de lieu exclusivement destiné à la rencontre.
Cela explique en partie le succès de Tinder et de ces plates-formes de rencontres. Il y a un attrait dans la possibilité de dissocier les rencontres intimes et son cercle social. Aussi, les utilisateurs peuvent s’engager et se désengager plus facilement. Il y a moins de réflexion sur la conséquence des actes puisque l’entourage n’est pas impliqué et n’a aucun contrôle. Et puis, si ça se passe mal, il y a moins de chance de se recroiser. Cela favorise également les mauvaises conduites comme les faits de violence ou encore le harcèlement : les auteurs ont moins à rendre compte de leur comportement, comme cela pourrait être le cas dans un contexte de sociabilité ordinaire – où tout sera su de l’entourage.
Les relations démarrent aussi plus vite sur ces plates-formes puisque le processus de rapprochement est accéléré. Le « match » sur Tinder rend explicite l’attirance et ne laisse pas de doute sur cette réciprocité, il n’y a donc pas à tâter le terrain. Le temps entre le premier contact et le premier rapport sexuel est beaucoup plus court que lorsque la rencontre se fait pendant une soirée entre amis.
Son succès et ses plus de 50 millions d’utilisateurs font-ils de Tinder l’application de rencontre la plus utilisée dans le monde ?
Tout dépend de la mesure que l’on prend et téléchargement ne veut pas dire usage. Dans le monde occidental, il est un acteur très important, mais d’autres services existent en Inde, en Chine ou en Amérique du Sud par exemple. Nous savons que les plates-formes de rencontres s’adaptent aux codes régionaux et en Inde il n’est pas inhabituel de voir des parents créer des profils pour leurs enfants.
Par ailleurs, le secteur économique des plates-formes de rencontres a une tendance monopolistique, les grandes entreprises achètent les petites – ce qui n’est pas une spécificité du secteur numérique. Le site de rencontre Match a acheté Tinder et Meetic, qui a lui-même acheté de plus petits produits. La plupart de ces plates-formes supposément concurrentes sont la propriété d’un seul conglomérat américain, InterActiveCorp.
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Avec le renouvellement, certaines plates-formes ont vu leur population se modifier et notamment vieillir. La démographie de Meetic, qui a vingt ans, a changé. Tinder, dans dix ans, deviendra probablement ringard auprès des jeunes de demain, même s’il essaye d’innover.
Qui sont les utilisateurs de l’application et ont-ils changé en dix ans ?
Souvent, ce sont des personnes jeunes, socialement favorisées et passées par l’enseignement supérieur qui s’approprient les nouvelles technologies « à la mode », avant que les plates-formes ne se démocratisent et deviennent plus mixtes. Ça a été le cas pour Tinder, qui a été lancé dans les cercles de grandes écoles américaines. Sa population est désormais plus diverse, il y a des personnes plus âgées ou issues de milieux sociaux moins aisés.
Parmi les premiers utilisateurs de l’application, certains jeunes en sont désormais partis pour fuir cette diversification et retrouver l’entre-soi du début, qui a favorisé l’homogamie. Le phénomène est aussi observable sur d’autres plates-formes : des personnes très éduquées, présentes au départ, se sont ensuite tournées vers des plates-formes plus chères, restreintes par affinité ou plus sélectives. Des applications comme Bumble se sont spécialisées en ce sens : les questions de l’application sont plus développées et s’intéressent à la situation socio-économique des utilisateurs. Cette recherche d’entre-soi est forte mais rarement admise, ni par les utilisateurs ni par les entreprises.
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